Exposition « La Russie Inconnue » au quai Antoine 1er de Monaco

L’exposition « La Russie Inconnue » aura lieu du 1er juillet au 27 août 2015 à la salle d’exposition au Quai Antoine 1er de Monaco.

Cet évènement, organisé par la galerie "MC Fine Arts" dans le cadre de l’Année de la Russie à Monaco, présente les chefs-d'œuvre d'art russe de la première moitié du XXème siècle.

Présentation de l'exposition par Xenia Muratova, historienne d’art

L’exposition organisée à l’occasion de l’année de la Russie à Monaco est consacrée essentiellement à l’œuvre des artistes russes qui ont quitté leur pays au début du XXième siècle ou ont été obligés d’émigrer après la révolution de 1917. La plupart de ces artistes sont passés par Paris et ont séjourné à Monaco et sur la Côte d’Azur.

De nombreux artistes russes de cette génération ont participé pleinement à la vie culturelle et artistique de la France et de Monaco. Ils faisaient partie, de façon incontournable, du panorama richissime de la culture occidentale des années 1920-1950. Tout en épousant l’identité artistique occidentale, ils ont gardé, néanmoins, leur altérité due à leur éducation artistique en Russie et à l’imprégnation par les traditions de la culture russe. On peut dire qu’ils se distinguent, en dépit de leurs origines et de leurs provenances les plus diverses dans l’immensité de l’Empire russe - celles des métropoles brillantes ou celles des minuscules localités juives - par un fait simple mais capital : celui d’avoir lu Pouchkine dans sa jeunesse, c’est-à-dire d’avoir grandi dans une perception du monde particulière transmise par la langue russe.

Certains d’entre eux, comme Vassili Kandinsky, Alexeï Iavlensky, Marc Chagall et Chaïm Soutine, ou encore Léon Bakst, le célèbre décorateur des Ballets russes, ont acquis une gloire universelle, mais les autres, non moins doués pourtant, sont restés jusqu’à présent dans l’ombre. Néanmoins, les artistes russes en exil ont apporté une contribution considérable soit dans le parcours des avant-gardes et de l’art abstrait soit dans celui de l’art figuratif, y compris le réalisme poétique et l’art néo-classique des années de l’entre-deux-guerres et dans la période qui suit la Seconde Guerre mondiale. Leur contribution fut décisive non seulement dans le développement de l’Art Déco mais aussi dans la formation du design moderne en général. Mais qui, en dehors de certains spécialistes, de quelques marchands et de rares collectionneurs, se souvient maintenant de Georges Annenkov, de Léopold Survage, de Serge Férat, de Serge Ivanoff, de Pavel Tchélitcheff, de Marie Vassilieff, de Léonide Freschkopf et de plusieurs autres ?

Les expositions rétrospectives récentes de Natalia Gontcharova, de Alexandre Iakovlev, de Alexandra Exter, de Boris Grigoriev, de Kasimir Malevitch, de Sonia Delaunay ont permis au large public russe et occidental de découvrir de grands artistes de portée internationale et ont montré clairement l’importance de la contribution du génie russe et de la spécificité de la tradition russe dans la formation de l’art du XXième siècle. En effet, la liberté et l’audace, caractéristiques de l’art russe dans l’interprétation de l’héritage des maîtres anciens, des primitifs, de l’art populaire, ont influencé profondément le cours de cet art.

L’objectif de l’exposition est de commencer, enfin, à combler cette lacune, de faire connaître au large public européen toute une couche vaste de l’art russe, encore peu connue mais qui reste toujours vivante et présente dans l’héritage culturel de l’Europe. La collection réunie par Tatiana et Georges Khatsenkov rend hommage à cet art dont Monaco, Côte d’Azur, Paris étaient les lieux d’élection, les endroits privilégiés de la féerie de la création artistique.

Sans aucun doute, pour le large public d’aujourd’hui cette exposition sera une découverte passionnante de toute une pléiade de créateurs remarquables de l’art moderne.

XENIA MURATOVA
Historienne d’art,
professeur émérite des universités françaises,
présidente du Centre international d’études «Pavel Muratov»

"LES RUSSES DE L'ECOLE DE PARIS TELS QUE JE LES AI CONNUS" par Jeanine Warnod, critique d'art

En 1925, mon père André Warnod, peintre, historien de la ville de Paris, critique d'art au journal « Comoedia » et plus tard au « Figaro » déclare comme une profession de foi dans son livre « Les Berceaux de la Jeune Peinture »: « L'Ecole de Paris existe». Et mieux encore, il en donne la définition. On a tendance à croire que l'Ecole de Paris ne concerne que les étrangers. C'est faux. L'origine de ce mouvement peut se situer dès 1904 avec l'arrivée de Picasso, espagnol à Montmartre et ensuite celle des artistes venus d'Europe Centrale à Montparnasse, Archipenko, Zadkine, Chagall, Soutine, Kremegne, Lipchitz, Lipsi, Dobrinsky, Indenbaum, Kikoine, peintres et sculpteurs qui trouveront refuge à La Ruche « Villa Médicis de la misère ». On y rencontre aussi Volovick, Pailes, Chapiro et bien d'autres. Ils veulent voir Matisse, Derain, Braque, découvrir leur rigueur, leurs règles, leur esprit cartésien. Eux, ils étonnent avec leur tradition, leur fantaisie, un monde de joie et de douleur. C'est cette fusion entre ces artistes de toutes origines qui constitue la véritable Ecole de Paris.

Que venaient ils chercher ces Russes chassés de leur pays par des pogroms et assoiffés de liberté, curieux de connaître cette douce France dont ils savaient les merveilles ? Découvrir Le Louvre et ses maîtres, rencontrer d'autres créateurs, peindre comme ils l'entendaient. Ouf ! Ils étaient sortis de leurs contraintes mais qu'allait leur apporter l'inconnu? Une langue différente, la solidarité des uns, l'incompréhension des autres, la difficulté de gagner de quoi se nourrir. Comment se faire remarquer des marchands, des collectionneurs, des mécènes ? A Montparnasse, dans les cafés comme le Dôme et la Rotonde chauffés l'hiver et offrant des terrasses au soleil dès le printemps, ils trouvaient un réel réconfort. Les artistes russes reçoivent aussi dans l'atelier de Marie Vassilief, célèbre pour ses poupées, les bienfaits d'une cantine salvatrice. « Tenir », résister à toutes les destructions morales et physiques, tout un programme!

Pour écrire mon livre « La Ruche et Montparnasse », en 1978, j'ai eu la chance de rencontrer les artistes russes qui avaient supporté les années difficiles de leur arrivée à Paris, ceux dont on peut aujourd'hui admirer les œuvres dans cette exposition. Ces amis de mon père, je les ai connus dans mon enfance et plus tard, après sa mort, moi-même critique d'art au Figaro, je les retrouvais comme des vieux amis.

Le premier, CHAGALL, marqué en 1911 par les paroles prophétiques qu'André Warnod, jeune journaliste chargé de recevoir les exposants du Salon des Indépendants, lança au petit paumé venu de Vitebsk, ne parlant pas français, apportant trois toiles sublimes mais incongrues: «Tu seras célèbre avant de parler notre langue! » Cette petite phrase plus que l'or et les honneurs resta au cœur du peintre qui me la répéta à chacune de nos rencontres jusqu' à sa mort.

ZADKINE arrivait de Smolensk en passant par l'Angleterre pour échouer à la Ruche, au rez-de-chaussée de la rotonde, l'ancien pavillon des vins de l'exposition universelle en 1900. Il détesta tout de suite ce lieu morbide. Comme Chagall, il ne s'adapta ni à la solitude, ni à la vie communautaire de ses compatriotes qui mangeaient du ragout de chat arrosé de vodka en clamant leur vieux folklore. Archipenko faisait partie de cette colonie russe et entrainait Fernand Léger à chanter dans les cours accompagné de sa guitare. La moindre monnaie était bonne à prendre quand l'art ne suffisait pas à nourrir ces artistes échoués. Pendant la guerre de 14-18, Warnod et Zadkine se retrouvèrent au service des Ambulances Russes, à Magenta près d'Epernay. A la fin de la terrible tuerie, le sculpteur offrit à son ami un accordéoniste en plâtre et plus tard, il venait régulièrement réparer la patine éclatée avec un petit pinceau. C'était le perfectionniste qui veillait à son œuvre. Un artiste exceptionnel qui se montrait comme un feu follet, dynamique et infatigable mais qui dans ses mémoires « Le maillet et le ciseau » révéla les angoisses qui le hanta toute sa vie.

Ma plus belle rencontre fut celle d'IDENBAUM, un pensionnaire de La Ruche de 1911 à 1927. A 86 ans, il vivait chez ses enfants à Oppio près de Grasse. C'est là où je l'ai découvert, une sorte de saint tombé du ciel qui avait pu supporter l'enfer. Quelques bonnes âmes lui apportaient chaque matin du pain et du lait, et il me dit « C'était merveilleux, il ne manquait que des ailes à ces dames pour être des anges ! » Son regard m'impressionnait, des yeux bleus clairs d'où émanait le détachement.

Le couturier et collectionneur Jacques Doucet qui possédait « Les demoiselles d'Avignon » de Picasso remarqua ses sculptures au Salon des Indépendants. Il acheta une petite tête d'enfant et l'invita chez lui, avenue du Bois de Boulogne .Dans son immense salle à manger toute ronde, il lui dit « Faites-moi une sculpture pour cette niche de Im70 sur 0m70. Je vous donnerai 1.000 francs par mois. » Sauvé! Indenbaum pouvait devenir généreux envers ses amis, Soutine, Modigliani, et bien d'autres et sculpter comme il l'entend.

Parmi les Russes, KREMEGNE, arrivé tout jeune à Paris avait alors 88 ans. Il avait la réputation d'un homme bourru et grognon, je l'ai trouvé pimpant, serein peignant plus clair, plus libéré de sa détresse.

Quant à DOBRINSKY, mystique, il représentait Dieu à travers la tristesse de sa femme. C'est elle, Véra, veuve inconsolable, qui évoquant son passé me lança: « Vous savez, l'Ecole de Paris, c'était la terrible école de la vie ! »

A l'inverse, un autre de Vilna, KIKOINE, exprimait son heureux naturel dans sa peinture. Ses deux enfants jouaient dans les jardins de la Ruche. YANKEL, encore en vie, a suivi les traces de son père tout en évoluant vers un art plus moderne qu'il enseignait à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris.

Le théâtre pouvait être une ressource. Le Bal Bullier, en face de la « Closerie des Lilas », royaume des poètes, programma le 23 février 1923 le Bal Transmental avec « Le triomphe du cubisme » une pièce d'Iliazd dont il peint le rideau de scène. La chorégraphie et la mise en scène étaient de Larionov et les décors de Granowsky, le faux cow boy de la Rotonde.

Une rencontre incroyable en écrivant mon livre me permet de découvrir un tout autre monde à travers ARDENGO SOFFICI, une des premières « abeilles » de la Ruche comme Alfred Boucher, émule du socialiste Combes, sculpteur fondateur de cette cité d'artiste au loyer souvent gratuit. Cet italien venu à Paris visiter l'exposition universelle en 1900 avait rencontré fortuitement à Florence une femme russe superbe. Il la retrouva à Paris lors d'un vernissage à la Galerie Georges Petit et l'invita dans son atelier misérable. Ainsi la baronne Hélène d'OETTINGEN arriva en fiacre sous la pluie, couverte de fourrure et de bijoux dans le passage Dantzig de la plaine de Vaugirard. Elle était riche, amenée à Paris par son soi-disant frère ou cousin, Serge Jabstretzov qui, peintre, n'avait pas encore pris le nom de FERAT. Cette étrange situation me parut digne d'un roman. Elle était peintre, sous le nom de François Angiboult, écrivain, Roch Grey, poète, Léonard Pieux. Elle avait pour amant, Léopold Survage, et rencontra Guillaume Apollinaire dans les couloirs de la revue « La Plume » où collaboraient le poète et Soffici.

Apollinaire dirigeait « Les Soirées de Paris » mais il manquait deux cent francs pour qu'elle perdure. Serge Férat et la baronne proposèrent d'avancer cette somme. C'est ainsi que lui devint directeur artistique et elle écrivait des textes et des poèmes dans chaque publication. Ils étaient associés sous le nom de Jean Cerusse (Ces Russes). Dans cette revue, les meilleures plumes et les illustrations d'œuvres inédites paraissaient chaque mois. L'art d'avant-garde avec les cubistes et les surréalistes se déployèrent avec succès de novembre 1913 à juillet 1914 comme la première couverture réalisée par Picasso ou le numéro spécial consacré au Douanier Rousseau.

L'atelier de Serge Férat, au 278 Boulevard Raspail, servait de salle de rédaction et au 229 du même boulevard, la baronne recevait le Tout Paris des Lettres et des Arts. Sa collection de tableaux modernes était exposée. Max Jacob la décrit avec férocité: « Du haut des talons qui allongeaient sa grâce longue, la baronne vous accueillait avec un apitoiement insoumis sans cesser sa promenade dans la serre lambrissée contigüe à l'atelier les bras croisés sur un pyjama de moire jaune... Avant de recouvrir de confitures très variées les tartines du thé pour nos dandys en casquette, elle nous servait à la russe. Les tartines des plus pauvres (Modigliani, Survage, Ortiz de Zarate et moi) étaient des sandwich au roastbeef... »

SURVAGE fit en, 1917, un magnifique portrait de son amante. Hiératique, les yeux baissés avec ses cheveux roux, ses joues fardées, couverte de bijoux, coincée derrière un fauteuil Louis XVI la recouvrant à moitié, elle semble prisonnière de la ville qui l'entoure peuplée de petits hommes noirs au chapeau melon coupés en deux, plaqués sur un mur et qui ne peuvent l'atteindre. Ce tableau spectaculaire est conservé au Centre Pompidou. Après la révolution de 1917 en Russie, et la mort d'Apollinaire, l'année suivante, Hélène et Serge démunis durent vivre de leur travail avec la foi qui dépasse les montagnes. Elle continua à peindre et à écrire, lui, sorti du cubisme, fit les décors des « Mamelles de Tiresias » pamphlet écrit par Apollinaire. Il rejoint ses compatriotes à la Section d'Or animée par Survage et Archipenko. Puis il adoucit son trait dans l'univers du cirque et comme l'écrit Jean Cocteau: « … sa méthode se résume à l'amour. Amour de dessiner , amour de la nature ? Je ne sais pas. L'un et l'autre se confondent.» Le collectionneur Pierre Henri Roché, auteur de « Jim et Jules » dont Truffaut s'inspira pour faire un très beau film, achète ses paysages qu'il expose à New-York. Les gouaches de Férat sont de vrais petits bijoux.

A Montparnasse, les esprits changent avec le temps, se modernisent. L'Ecole de Paris, celle du siècle dernier, demeure. On n'a pas fini d'aimer ses maîtres et de rechercher les oubliés.

Informations pratiques

L'exposition « La Russie Inconnue » est ouverte du 1er juillet au 27 août 2015 tous les jours de 11 h à 20 h dans la salle d'exposition au quai Antoine 1er dans le port Hercule de Monaco.

MC FINE ARTS
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